This short piece of writing was written in January 2012. It is an essay for the course in Ancient History and Society (Histoire et société du monde chinois ancien) at the Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO) where I am doing a second year undergraduate course in Chinese language and civilisation.The instructor was Penelope Riboud. We were lucky to be a small group and it has been one of the most instructive classes I took last semester. Mrs. Riboud also invited Professor Etienne de La Vaissière to give a lecture on Turfan. From his lecture I got the inspiration to write this piece. He also kindly answered to an email requesting bibliographical details on Turfan at the beginning of the Tang dynasty.
This is a piece of fiction I tried to ground in historical facts. We were supposed to take an individual from ancient Chinese history and explore its life from a socio-historical perspective over a certain span of time.
In many ways it is unsatisfactory. First I think it could have been better written : I acted both as a historian and a writer. Secondly it is too short. It is too short because I could not get in time the translation of the relevant passage of the Beishi [北史, Chronicles from the North] and because I could not gain access in time to a number of books that were relevant to my subject (huge and not uncommon feeling of loneliness of the researcher who discovers that the only book in the National Library (BNF) he needs is being restored since September).
Cours d’histoire et société du monde chinois ancien :
De peur et de surprise, le guetteur Chang écarquille les yeux, un messager à une heure si matinale ne peut être porteur que de nouvelles alarmantes. Il se frotte les paupières et examine à nouveau le cavalier qui s’avance à vive allure, fouettant de toutes ses forces le petit cheval qu’il a pour monture.
Le guetteur Chang est responsable de la garde de l’est de la ville de Gaochang. Du haut de sa tour, il dispose d’une vue d’aigle sur tous les points de l’espace. Au nord, les Monts du ciel, dont la cime perpétuellement enneigée commence tout juste à s’illuminer sous l’effet du soleil matinal. De ces hauteurs vient l’eau qui est à l’origine de l’existence et de la richesse de ce petit royaume de Gaochang où vivent 37000 habitants sur un espace mesurant 300 li d’est en ouest et 500 li du nord au sud [1]. L’eau coule en torrents depuis les montagnes au nord jusque dans le désert, irriguant au passage les oasis de la région. Pays au sol de pierre, perpétuellement soumis à la chaleur venue du soleil, pays dépourvu de toute ondée bienfaisante, pays pourtant très fertile grâce au don de l’eau des Monts du ciel. Au delà des montagnes du nord, c’est la steppe, où se trouve la puissance turque, avec laquelle le royaume de Gaochang a toujours dû compter. A l’ouest se trouvent le bassin du Tarim et les passes à travers les Monts du ciel, c’est de là que viennent les caravanes. Celles-ci se font moins nombreuses depuis que le roi a interdit le passage à l’est. Le guetteur Chang se souvient de l’époque où les caravanes passaient en grand nombre à Gaochang. Elles venaient d’aussi loin que Samarkand à l’ouest et que Chang'an à l’est. A cette époque le marché de Gaochang regorgeait de marchandises variées : chevaux, esclaves, soieries, chanvre, taffetas, épices et parfums de toutes sortes et enfin armes. Chang avait alors, après une longue négociation avec un marchand de Sogdiane, payé 800 sapèques le sabre en acier qu’il porte fièrement à son côté [2]. En cette seizième année du règne de la Longévité [3], le marché de Gaochang n’a pas cessé son activité [4], mais celle-ci a diminué. Des caravanes passent par Gaochang pour aller vers le nord, vers l’ouest ou vers le sud ouest, mais la route vers l’empire Tang est fermée, verrouillée solidement. Deux ans auparavant, Qu Wentai, le souverain bien-aimé du royaume chinois de Gaochang, issu de l’ancienne famille des Liang du Gansu, de l’avis de beaucoup un pieux bouddhiste et fin politicien, a décidé de rompre avec tous les usages du passé et coupé la route aux caravanes allant vers l’empire du Tang.
Le guetteur Chang se demande comment il va annoncer la nouvelle qu’il suppose très préoccupante. Membre du clan de la reine, il a été relégué à la porte de l’est pour avoir partagé avec le roi ses craintes de l’approche par le désert de Taklamakan des armées Tang. Il a été écarté du poste de conseiller du roi parce qu’il craint la revanche de l’empire Tang et qu’il s’est opposé à l’abandon de l’enseignement des livres classiques chinois [5]. Le roi Qu est passé en quelques années d’une admiration pour tout ce qui venait de l’empire à une aversion presque maladive vis-à-vis de la Chine. Ce revirement de politique est inexplicable et malheureux aux yeux de Chang, après tout l’empereur des Tang a accueilli le roi Qu et son épouse à Chang'an dix ans auparavant en grande pompe. Mais c’est l’influence du Kahn des Turcs de l’ouest, nouvelle puissance dominante de la steppe qui a poussé le roi à défier l’empire [6]. Et le roi a fanfaronné à plusieurs reprises sur l’impossibilité pour une armée constituée de franchir le désert.
Le guetteur Chang a servi le roi Qu fidèlement et intelligemment pendant vingt ans. Onze ans auparavant, il avait assisté à l’arrivée du maître bouddhiste Xuanzang, à une époque où l’on attendait avec impatience tout ce qui provenait de l’est, puisque le grand Tang n’était point l’ennemi. Le roi Qu avait alors accueilli personnellement et avec de grandes marques de déférence cet illustre maître, il avait même cherché par tous les moyens à le retenir, à lui faire renoncer au voyage occidental vers le pays de Bouddha qu’il avait entrepris pour retrouver les écritures originales. Qu Wentai avait mis son royaume aux pieds de Xuanzang pour que les maîtres bouddhistes du royaume et leurs disciples puissent recevoir son enseignement. Le guetteur Chang se souvient encore de la déconfiture de son maître lorsque Xuanzang avait entrepris de ne plus se nourrir ni s’abreuver jusqu’à ce qu’on le laisse partir. Et il était finalement parti, comblé de biens par le roi et doté de lettres d’introduction auprès de tous les potentats de l’ouest et surtout auprès du Khan. Il avait promis qu’à son retour, il enseignerait trois ans durant à Gaochang [7]. Depuis tous les guetteurs de l’ouest du royaume restaient attentifs au moindre signe, à la moindre nouvelle venant de l’ouest ou du nord. De son côté, le guetteur de la porte de l’est n’avait rien à attendre, du moins officiellement, et son devoir était de scruter en vain le vide de ce désert désormais interdit. S’il ne guettait plus le désert que par habitude, il lui restait néanmoins la tâche d’empêcher toute sortie illicite.
Le messager parvient enfin à la porte. Le guetteur en ordonne aussitôt l’ouverture et descend de la tour en toute hâte pour l’accueillir. Il le dévisage avec soin un instant. Il connaît le jeune homme de longue date pour l’avoir recommandé à ce poste de coursier rapide des postes. Petit, trapu et infatigable, portant la barbe fournie des Hu, Kang Mozhi [8] commença son rapport en parlant à toute vitesse dans la langue du pays. Des éclaireurs chinois avaient été repérés à plusieurs reprises au début de la nuit passée à proximité de la frontière. Le chef de la commanderie de Pili [9] avait aussitôt envoyé ses propres éclaireurs qui n’eurent pas beaucoup de chemin à faire avant de rencontrer les troupes du général Hou [10].
L’armée des Tang est finalement arrivée. Pili doit déjà être assiégée à cette heure. Fin connaisseur du désert, le général Hou a donc relevé le défi posé par Gaochang. Accompagné du messager, le guetteur saute à cheval et pique en direction du palais, situé au nord de la ville, il se fait ouvrir les portes de la demeure royale et annoncer auprès du roi encore endormi. Celui-ci s’éveille, se leva et fit admettre le guetteur de la porte et le messager l’accompagnant. Chang fait répéter la nouvelle au roi. Celui-ci pâlit, porte la main à sa poitrine, vacille, fait une grimace de douleur, tourne sur lui-même en suffoquant et s’effondre dans les bras de ses valets [11].
Voici comment le roi de Gaochang mourut de peur.
Notes
[1] Zhang Guangda, « Kocho (Kao-Ch’ang) » in History of civilizations of Central Asia Volume III The crossroads of civilizations : A.D. 250 to 750, Litvinsky, B. A. (dir.), UNESCO Publishing, 1996, pp.303-314.
[2] La description du marché et l’estimation du prix proposée ici procède d’une extrapolation qui utilise la traduction fournie dans Eric Trombert et Etienne de la Vaissière, « Le prix des denrées sur le marché de Turfan en 743 », in J-P. Drège (dir.), Etudes de Dunhuang et Turfan, Droz, 2007, pp. 9-27.
[3] 640 de l’ère chrétienne correspond à la seizième année du règne 延壽, Yanshou, mais c’est en fait la vingtième année du règne du roi Qu Wentai, cf. Valerie Hansen, « Introduction : Turfan as a Silk Road Community », in Asia Major, Third Series, part 2, 1998, pp. 1-12.
[4] Etienne de la Vaissière et Eric Trombert, « Des Chinois et des Hu, Migrations et intégration des Iraniens orientaux en milieu chinois durant le haut Moyen Âge », Annales Histoires et Sciences Sociales, septembre-décembre 2004, n°5-6, p. 936. Mentionne la vente d’un esclave par un marchand sogdien au moine Yansyan en 639.
[5] Chang est le nom d’une des grandes familles du royaume de Gaochang, voir : Zhang Guangda, « Kocho (Kao-Ch’ang) » in History of civilizations of Central Asia Volume III The crossroads of civilizations : A.D. 250 to 750, Litvinsky, B. A. (dir.), UNESCO Publishing, 1996, pp.303-314. Les autres familles sont les Fan, les Yin, les Ma, les Shi et les Xin. Ces familles contrôlent l’administration, entretiennent le systèmes d’irrigation, possèdent des moulins et des troupeaux.
[6] in Denis Twitchett et John K. Fairbank, (dir.), The Cambridge History of China, Volume 3 Sui and T’ang China, 589-906, Part I, Cambridge University Press, Cambridge, 1979, pp. 219-228.
[7] Hui Li, The Life of Hiuen-Tsiang, Scholar, Saint and Pilgrim, traduit par Samuel Beal, Trubner and Company, London and Portland, 2003, pp. 24-34.
[8] Nom sogdien pris dans Etienne de la Vaissière, Histoire des marchands sogdiens, Collège de France, Institut des hautes études chinoises, Paris, 2002, p. 140.
[9] Dans la traduction de la vie de Xuanzang, Pi-li est la ville par laquelle le moine bouddhiste Xuanzang entre dans Gaochang. Voir : Hui Li, The Life of Hiuen-Tsiang, Scholar, Saint and Pilgrim, traduit par Samuel Beal, Trubner and Company, London and Portland, 2003, p. 25.
[10] in Denis Twitchett et John K. Fairbank, (dir.), The Cambridge History of China, Volume 3 Sui and T’ang China, 589-906, Part I, Cambridge University Press, Cambridge, 1979, pp. 219-228.
[11] Idem.
Bibliographie
DE LA VAISSIERE, Etienne et TROMBERT, Eric, « Des Chinois et des Hu, Migrations et intégration des Iraniens orientaux en milieu chinois durant le haut Moyen Âge », Annales Histoires et Sciences Sociales, septembre-décembre 2004, n°5-6, pp. 931-969. [Document téléchargé depuis www.cairn.info le 20/12/2011]
DE LA VAISSIERE, Etienne, Histoire des marchands sogdiens, Collège de France, Institut des hautes études chinoises, Paris, 2002, 413 p.
HANSEN, Valerie, « Introduction : Turfan as a Silk Road Community », in Asia Major, Third Series, volume 11, part. 2, 1998 [publié en mars 2000], pp. 1-12.
HUI Li, The Life of Hiuen-Tsiang, Scholar, Saint and Pilgrim, traduit par Samuel Beal, Trubner and Company, London and Portland, 2003, 218 p.
TROMBERT, Eric et DE LA VAISSIERE, Etienne, « Le prix des denrées sur le marché de Turfan en 743 », in J-P. Drège (ed.), Etudes de Dunhuang et Turfan, Droz, 2007, pp. 1-52.
TWITCHETT, Denis et FAIRBANK, John K. (dir.), The Cambridge History of China, Volume 3 Sui and T’ang China, 589-906, Part I, Cambridge University Press, Cambridge, 1979, 850 p.
ZHANG, Guangda, «Kocho (Kao-Ch’ang) » in : History of civilizations of Central Asia Volume III The crossroads of civilizations : A.D. 250 to 750, Litvinsky, B. A. (dir.), UNESCO Publishing, 1996, p. 303-314