Citations de lectures

"Il n'y a pas d'histoire de France. Il n'y a qu'une histoire de l'Europe." Marc Bloch
"Il n'y a pas d'histoire de l'Europe, il y a une histoire du monde." Fernand Braudel

Civilisation : "Ce qui, à travers des séries d'économies, des séries de sociétés, persiste à vivre en ne se laissant qu'à peine et peu à peu infléchir." Fernand Braudel

lundi 25 octobre 2010

Billet pour la séance du 26 octobre 2010 Histoire de l'Internet - Les révolutions de l'information - Web 2.0

Pour référence, le corpus de textes donnés à lire est le suivant :

Vannevar Bush, "As we may think", Atlantic Magazine, July 1945.

William G. Thomas, “Computing and the Historical Imagination,” Susan Schreibman, Ray Siemens and John Unsworth (eds.) A Companion to Digital Humanities, Oxford, Blackwell, 2004.

Roy Rosenzweig, "The Road to Xanadu: Public and Private Pathways on the History Web", Journal of American History 88, 2 (September 2001): 548-579.

Edward L. Ayers, "Technological Revolutions I Have Known," in Computing in the Social Sciences and Humanities. Orville Vernon Burton, ed. (2002). pp. 19-26.

Michael Lesk, "How Much Information Is There in the World?"[probablement 1997]

Tim O'Reilly, “What Is Web 2.0?”, 2005.

Graham Cormode and Balachander Krishnamurthy, "Key differences between Web 1.0 and Web 2.0", First Monday, Vol. 13, No. 6 (2 June 2008).

L’objet de cette séance est l’histoire du Web, depuis ses précurseurs jusqu’à aujourd’hui, âge du Web 2.0 et l’impact du Web pour le travail de l’historien. L’axe de lecture choisi pour aborder ce corpus d’article est le suivant : Existe-t-il un web historien, ou web des historiens ?

Les questions clefs sont multiples et parfois délicates à démêler.

Qu’est que les révolutions de l’informatique et de l’Internet ont changé dans la pratique de l’histoire ? Cette question peut se dérouler de plusieurs manières.

Concernant les archives, leur accessibilité, est-ce que le Web permet ou est en passe de permettre un accès complet aux archives disponibles, quelque soit leur format, pour un sujet donné ? Est-ce que la pratique de la digitalisation, ses coûts, ne sont pas au contraire un grand frein à la collecte de nouvelles archives par une réorientation des ressources publiques et privées ?

Concernant le travail lui-même, est-ce que tous ces outils, du traitement de texte, aux espaces d’écriture collaborative en passant par les mails, la statistique assistée par ordinateur ou la cartographie interactive partagée changent fondamentalement les méthodes de l’historien, son rapport à la source, son exigence d’attribution juste des idées, des concepts et des récits employés ? En d’autres termes, est-ce que Internet facilite ou complexifie la collaboration entre historiens dans leur travail ?

Concernant le financement et le droit à l’accès, les études portant sur l’Internet montrent une variété infinie de situations qui ne profitent pas nécessairement au chercheur, lequel est ou a été étudiant, est ou n’est pas affilié à une université, etc. Internet fait l’objet de débat sur la notion de gratuité, de profit, etc. L’Internet des historiens doit-il être un espace à part, avec accès restreint et payant, même s’il est mutualisé ? Est-ce que l’ère de l’histoire numérique réduit réellement les coûts ?

Concernant la construction, la consolidation et la défense d’un profession intellectuelle qui subit la concurrence d’autres sciences sociales, des généalogistes, des groupes de mémoire, des amateurs, des institutions... est-ce que un espace ouvert, public peut être un espace de travail viable ? Cela conduit à la question de la revue par les pairs, de l’évaluation d’un travail d’historien qui désormais n’est plus nécessairement au format d’un livre ou d’un article. De nombreux points d’ancrage comme l’autonomie des historiens, la séparation entre l’élaboration en groupe restreint et la communication au plus grand nombre, l’autorité de l’historien, etc. semblent en danger. Est-ce que des fonctionnalités propres au Web 2.0 qui permettent une interaction quasi-continue entre individus, la mise en ligne de commentaires, qui promeut également un certain égalitarisme entre les usagers ne conduit pas à des pertes de temps, un abaissement de l’historien, etc. ? (Ce n’est pas nécessairement aussi caricatural, mais la tentation de la tour d’ivoire de la part des historiens est très présente : les médias traditionnels permettent l’illusion du petit comité, de l’autorité de l’expert, d’échapper à la foule des curieux par le haut, en position de leader. Internet introduit d’autres mécanismes qui peuvent effrayer des chercheurs dont le souci n’est pas la popularité au sens démocratique ou commercial mais la vérité, la clarté, la nuance, la poursuite d’une conversation entre « égaux »… Mais en même temps, le passé n'est pas le monopole des historiens.)

Un autre axe de questionnement est suscité par la nature même de ce corpus : tous ces articles sont publiés en ligne, libres d’accès, leurs auteurs sont des "héros" de ces révolutions de l’information, et donc est-ce qu’ils n’ont pas un biais de principe vis-à-vis des historiens qui n’ont pas fait le choix de surfer sur la vague, voire de la précéder ? D'ailleurs, certains articles reconnaissent que l'adoption de nouveautés technologique n’a pas été jusqu’alors nécessairement gage d’une amélioration fulgurante en terme de recherche, d’enseignement ou de diffusion.

Mais l’on peut aller jusqu’à soupçonner que la réalisation d’un espace internet contenant toutes les informations possibles, reliées entre elles (notion d’hypertexte) peut conduire à une forme de positivisme: "oui, un jour toutes les informations seront à la portée immédiate du chercheur, toutes les associations faisables seront possibles…"

Le choix est-il entre un Internet de l’historien, délimité, financé spécifiquement, restreint dans son accès et contrôlé par le haut et un Internet sans bornes qui respectent les critères de l’historien, un Internet pour lequel il doit développer des outils de sélection, de vérification tout en se fondant dans la masse des autres utilisateurs, lesquels peuvent être des contributeurs précieux, même s’ils ne prennent pas forcément le souci de contextualiser, d’indiquer l’origine exacte de leurs documents, et se comportent en plagiaires?

Enfin, deux remarques moins essentielles, pouvant être sources de controverse:

- explorant l’espace qu’est la salle de classe ou le laboratoire de recherche : il existe une dissymétrie évidente entre la grande capacité à l’usage de nouvelles technologies des étudiants, des entrants dans la profession d’historien et leur faible capacité (financière principalement) à s’équiper de manière optimale, à obtenir un accès immédiat et illimité aux bases de données, etc. A l’inverse, bien des professeurs ignorent superbement les avancées de la technologie ou sont parfois en retard en la matière (même si ce n’est pas le cas de tous), et s'opposent de façon sourcilleuse au partage de données avec copyright, par principe.

- Dans le contexte de l’histoire américaine, ces articles sont instructifs et très pertinent, mais pour l’histoire mondiale, l'histoire globale, le rêve d’une base de donnée, interconnectée, collaborative et avec des barrières d’entrée peu élevée, comprenant tout ce qui est essentiel pour la recherche est encore relativement difficile à atteindre. La raison est de façon marginale la technologie (quoique les barrières linguistiques ne sont pas encore faciles à franchir ainisi) ou la finance. La raison est politique : en poussant la provocation, est-ce que une irruption technologique qui annexerait, numériserait et mettrait à la portée de tous (ou d’un certain nombre) les archives de pays non-démocratiques, où la transparence est un risque pour les dirigeants, est possible ? Et si cette entreprise se fait, est-ce que ce n’est pas interprétable par ces dirigeants comme une expression impérialiste menée et financée par les Etats-Unis ?

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